J.O. 302 du 31 décembre 2003
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Décision n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003
NOR : CSCL0307047S
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi de finances pour 2004, le 19 décembre 2003, par M. Jean-Marc Ayrault, Mme Patricia Adam, M. Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Bernard Derosier, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, MM. Michel Lefait, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Bernard Madrelle, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Mmes Ségolène Royal, Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg et Mme Christiane Taubira, députés ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution,
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi organique no 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi de finances pour 1995 (n° 94-1162 du 29 décembre 1994) ;
Vu la loi no 99-641 du 27 juillet 1999 modifiée portant création d'une couverture maladie universelle ;
Vu la loi no 2001-458 du 30 mai 2001 portant création d'une prime pour l'emploi ;
Vu la loi no 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer ;
Vu la loi no 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites ;
Vu la loi no 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel no 2003-474 DC du 17 juillet 2003 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 23 décembre 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
1. Considérant que les auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 2004 en dénonçant son absence de sincérité ; qu'ils contestent par ailleurs la conformité à la Constitution de ses articles 3, 45, 59, 73, 82, 117 et 140 ;
Sur la sincérité de la loi de finances :
2. Considérant que, selon les requérants, « la loi de finances pour 2004 doit être analysée comme méconnaissant le principe constitutionnel de sincérité » ; qu'ils dénoncent, en premier lieu, « une erreur certaine, manifeste et volontaire » en ce qui concerne « la gestion et la présentation des dépenses » ; qu'ils font valoir, à l'appui de ce grief, que le Gouvernement n'aurait pas informé le Parlement d'engagements pris auprès des institutions européennes tendant à diminuer le niveau des dépenses publiques de la France ; qu'ils lui reprochent, par ailleurs, d'avoir surestimé intentionnellement, vis-à-vis de la représentation nationale, les charges de l'Etat, comme en témoignerait l'annonce, au cours des débats parlementaires, de la mise en réserve, dès le début de l'année 2004, de crédits susceptibles d'être ultérieurement annulés ; qu'ils considèrent, en deuxième lieu, que « les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement ne sont pas cohérentes avec l'hypothèse de réduction des déficits publics », jugeant impossible de « prétendre ramener les déficits publics à 3,6 % du PIB avec une croissance de 1,7 %, à politique budgétaire et fiscale inchangée » ; qu'ils estiment, enfin, que, compte tenu de l'écart constaté au cours de l'exercice 2003 entre les objectifs retenus en loi de finances initiale et la réalité de l'exécution budgétaire, le respect des règles de sincérité aurait dû conduire le Gouvernement à présenter, sans attendre la fin de l'année, un projet de loi de finances rectificative, conformément à « l'invitation du Conseil constitutionnel telle qu'exprimée l'an dernier dans la décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 » ; que, selon eux, l'absence de présentation, par le Gouvernement, d'un tel projet serait « un élément d'appréciation à la lumière duquel le Conseil peut juger de sa volonté réelle de respecter le principe de sincérité » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée, rendu applicable à compter du 1er janvier 2002 par son article 65 : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » ; que, s'agissant de la loi de finances de l'année, la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre ;
4. Considérant que les prévisions critiquées doivent être appréciées au regard des informations disponibles à la date du dépôt et de l'adoption du texte dont est issue la loi déférée et compte tenu des aléas inhérents à leur évaluation ; qu'il ne ressort des éléments soumis au Conseil constitutionnel ni que l'hypothèse de croissance du produit intérieur brut retenue pour 2004 ni que le déficit budgétaire prévu soient entachés d'une erreur manifeste ;
5. Considérant qu'il ne ressort pas non plus des éléments soumis au Conseil constitutionnel que le Gouvernement ait dissimulé au Parlement des engagements souscrits auprès des institutions communautaires de nature à remettre en cause les prévisions figurant dans la loi de finances pour 2004 ;
6. Considérant, enfin, que le vote par le Parlement, dans la loi de finances, des plafonds afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la disposition des ministres n'emporte pas, pour ces derniers, obligation de dépenser la totalité des crédits ouverts ; que les autorisations de dépense accordées ne font pas obstacle aux prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution en matière d'exécution de la loi de finances ; que l'article 14 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée, rendu applicable à compter du 1er janvier 2002, dispose à cet égard qu'« afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée, un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances. Un crédit devenu sans objet peut être annulé par un décret pris dans les mêmes conditions » ; qu'il était, dès lors, loisible au Gouvernement de prévoir la mise en réserve, en début d'exercice, d'une faible fraction des crédits ouverts afin de prévenir une détérioration éventuelle de l'équilibre du budget ; qu'ayant informé le Parlement de cette intention, il n'a pas porté atteinte au principe de sincérité ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés du défaut de sincérité de la loi déférée doivent être rejetés ;
Sur l'article 3 :
8. Considérant que l'article 3, relatif à la prime pour l'emploi instaurée par la loi du 30 mai 2001 susvisée, insère dans le code général des impôts un article 1665 bis permettant, sous certaines conditions, le versement d'un acompte de cette prime, d'un montant forfaitaire de 250 EUR, aux personnes reprenant une activité professionnelle ; qu'en particulier, le dernier alinéa du I de ce nouvel article dispose que : « Les demandes formulées sur la base de renseignements inexacts en vue d'obtenir le paiement d'un acompte donnent lieu à l'application d'une amende fiscale de 100 EUR si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » ;
9. Considérant que les requérants soutiennent que cette dernière disposition « déroge aux principes généraux du droit et notamment au respect des droits de la défense » et « établit des sanctions automatiques et disproportionnées par rapport à l'objet de la loi, en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » ;
10. Considérant qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, qui découle de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, avec le principe, énoncé par son article 8, aux termes duquel : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ;
11. Considérant qu'il résulte de ces dernières dispositions, qui s'appliquent à toute sanction ayant le caractère de punition, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés les principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines, et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère ; que s'impose en outre le respect des droits de la défense ;
12. Considérant, en premier lieu, qu'en adoptant les dispositions précitées, le législateur n'a pas entendu déroger aux dispositions applicables aux pénalités fiscales en matière d'impôts directs ; qu'ont notamment vocation à s'appliquer l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales qui dispose que « la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration », ainsi que celles de l'article L. 80 D aux termes desquelles : « Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations » ; que, par suite, manquent en fait les griefs tirés tant du caractère automatique de la sanction que de la violation des droits de la défense ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu'en fixant l'amende à 100 EUR, soit 40 % du montant de l'acompte indûment perçu, lorsque la mauvaise foi de l'intéressé est établie, le législateur n'a pas prévu une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des manquements constatés ;
Sur les articles 45 et 73 :
14. Considérant que l'article 45 de la loi déférée modifie la clef de répartition du produit de la taxe d'aviation civile entre le Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien et le budget annexe de l'aviation civile ; que son article 73 modifie la nomenclature des dépenses du compte d'affectation spéciale no 902-25 et complète l'article 46 de la loi de finances pour 1995 en attribuant à ce fonds la mission de financer « les dotations versées aux collectivités locales d'outre-mer au titre de la continuité territoriale » ; qu'il met ainsi en oeuvre l'article 60 de la loi du 21 juillet 2003 susvisée, déclaré conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 17 juillet 2003 susvisée, qui dispose que « l'Etat verse aux régions de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, à la collectivité départementale de Mayotte, à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna une dotation de continuité territoriale » ;
15. Considérant qu'il est reproché à ces dispositions de ne pas respecter « l'adéquation entre la ressource et la dépense, à partir du moment où la taxe d'aviation civile n'est pas prélevée dans les territoires d'outre-mer, qui pourtant sont éligibles à la dotation de continuité territoriale » ; que serait en outre méconnu l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances qui impose, s'agissant des comptes d'affectation spéciale, l'existence d'une « relation directe » entre les recettes et les dépenses ;
16. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des articles 61 à 67 de la loi organique relative aux lois de finances, l'article 21 de cette dernière n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2005 et ne sera applicable qu'aux lois de finances afférentes aux années 2006 et suivantes ; que, par suite, le grief tiré de la violation de cet article est, s'agissant de la loi de finances pour 2004, inopérant ;
17. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 25 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, encore applicable : « Les comptes d'affectation spéciale retracent des opérations qui, par suite d'une disposition de loi de finances prise sur l'initiative du Gouvernement, sont financées au moyen de ressources particulières... » ;
18. Considérant qu'en assujettissant les entreprises de transport aérien à une taxe qui s'ajoute au prix acquitté par le client et qui sera affectée, par l'intermédiaire du Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, à la continuité territoriale entre les collectivités d'outre-mer et la métropole, le législateur n'a pas méconnu l'article 25 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, ni créé de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que les griefs invoqués doivent par suite être rejetés ;
Sur l'article 59 :
19. Considérant qu'aux termes de l'article 59 : « I. - Les ressources attribuées au titre des transferts de compétences prévus par la loi no 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité sont équivalentes au montant des dépenses exécutées par l'Etat en 2003 au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de revenu de solidarité prévu à l'article L. 522-14 du code de l'action sociale et des familles. - Ces ressources sont composées d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers. Cette part est obtenue, pour l'ensemble des départements, par application d'une fraction du tarif de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers aux quantités de carburants vendues sur l'ensemble du territoire national. - La fraction de tarif mentionnée à l'alinéa précédent est calculée de sorte qu'appliquée aux quantités de carburants vendues sur l'ensemble du territoire en 2003, elle conduise à un produit égal au montant des dépenses exécutées par l'Etat en 2003 au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de revenu de solidarité... - Le niveau de cette fraction est modifié par une prochaine loi de finances afférente à l'année 2004. Cette modification tient compte du coût supplémentaire résultant pour les départements, d'une part, de la création d'un revenu minimum d'activité et, d'autre part, de l'augmentation du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion résultant de la limitation de la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique. - Le niveau définitif de cette fraction est arrêté par la plus prochaine loi de finances après la connaissance des montants définitifs de dépenses exécutées par les départements en 2004 au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et du revenu minimum d'activité. Il tient compte du coût supplémentaire résultant pour les départements, d'une part, de la création d'un revenu minimum d'activité et, d'autre part, de l'augmentation du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion résultant de la limitation de la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique... » ;
20. Considérant que les requérants estiment que les conditions de la compensation financière fixées par l'article 59 ne respectent pas le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni les nouvelles règles constitutionnelles inscrites aux troisième et quatrième alinéas de l'article 72-2 de la Constitution ; qu'en particulier, la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers ne saurait, selon eux, être assimilée à une ressource propre des départements dès lors que ceux-ci ne pourront en fixer ni l'assiette ni le taux ; que le choix qui a été fait d'attribuer une fraction du tarif de cette taxe aux départements aurait pour effet de réduire la part des ressources propres dans les ressources totales des départements et, par suite, porterait atteinte à leur autonomie financière ; qu'enfin, la nature et le montant de la ressource transférée ne permettraient pas de respecter le principe de l'équivalence entre les charges et les ressources transférées ;
21. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre » ; que la méconnaissance de ces dispositions ne peut être utilement invoquée tant que ne sera pas promulguée la loi organique qui devra définir les ressources propres des collectivités territoriales et déterminer, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, la part minimale que doivent représenter les recettes fiscales et les autres ressources propres dans l'ensemble de leurs ressources ;
22. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi » ;
23. Considérant, d'une part, qu'en transférant aux départements des recettes égales au montant des dépenses exécutées par l'Etat en 2003 au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de revenu de solidarité, l'article 59 respecte le principe de l'équivalence entre les charges constatées à la date du transfert et les ressources transférées ; que, toutefois, si les recettes départementales provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers venaient à diminuer, il appartiendrait à l'Etat de maintenir un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert ;
24. Considérant, d'autre part, que l'article 59 prévoit un mécanisme permettant d'adapter la compensation financière à la charge supplémentaire résultant, pour les départements, de la création d'un revenu minimum d'activité et de l'augmentation du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion par suite de la limitation de la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique ; que, ce faisant, il respecte le principe selon lequel toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ;
25. Considérant qu'il s'ensuit que, sous la réserve énoncée au considérant 23, l'article 59 n'est pas contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales, tel qu'il est défini dans les articles 72 et 72-2 de la Constitution ;
Sur l'article 82 :
26. Considérant que l'article 82 de la loi déférée fixe les plafonds sous lesquels les cotisations versées au titre de l'épargne retraite, notamment dans le cadre des plans d'épargne individuelle pour la retraite créés par la loi du 21 août 2003 susvisée, sont déductibles du revenu net global et définit les limites dans lesquelles les cotisations de retraite et de prévoyance peuvent être déduites des revenus professionnels ;
27. Considérant que les requérants font valoir qu'au cours des travaux parlementaires ayant abouti à l'adoption de la loi portant réforme des retraites, l'intention annoncée par le législateur était celle de « mettre en place un dispositif de crédit d'impôt afin qu'il s'adresse effectivement à l'ensemble des citoyens, qu'ils soient imposables ou non au titre de l'impôt sur le revenu » ; qu'ils estiment que la nature de l'avantage fiscal finalement retenu en loi de finances prive « près de la moitié des ménages des bénéfices de la mesure » et constitue à cet égard « une rupture flagrante du principe d'égalité » ; que ce choix méconnaîtrait en outre les exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;
28. Considérant que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux ; qu'en l'espèce, il a entendu favoriser la constitution d'un complément de retraite ; qu'il a fixé les limites dans lesquelles est accordée la déduction fiscale consentie aux épargnants ainsi que le plafond des revenus auxquels cette déduction peut être appliquée ; qu'en outre, les sommes versées à l'issue de la période d'épargne seront elles-mêmes assujetties à l'impôt sur le revenu ; que, par suite, les dispositions de l'article 82 de la loi déférée ne portent atteinte à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
Sur l'article 117 :
29. Considérant que l'article 117 de la loi déférée prévoit que : « Les collectivités territoriales et leurs établissements publics informent l'Etat avant toute opération affectant le compte du Trésor. Les seuils et les conditions de mise en oeuvre de cette obligation d'information préalable sont fixés par décret en Conseil d'Etat » ;
30. Considérant que, selon les requérants, cette obligation d'information préalable mise à la charge des collectivités territoriales porterait atteinte aux principes de leur « libre administration » et de la « libre disposition de leurs ressources » ; qu'ils font valoir, à titre subsidiaire, qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire la fixation du seuil d'application de cette obligation ainsi que les conséquences attachées à sa méconnaissance, le législateur serait resté en deçà de ses compétences ;
31. Considérant que si, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », chacune d'elles le fait « dans les conditions prévues par la loi » ;
32. Considérant qu'en vertu de l'article 15 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, « les collectivités territoriales de la République et les établissements publics sont tenus de déposer au Trésor toutes leurs disponibilités » ; qu'aux termes de l'article 26 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée, rendu applicable à compter du 1er janvier 2004 par son article 65 : « Sauf disposition expresse d'une loi de finances, les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l'Etat » ;
33. Considérant que l'obligation d'information préalable instituée par la loi déférée a pour objet, grâce à une meilleure anticipation des opérations importantes affectant le compte du Trésor, d'améliorer la gestion de la trésorerie de l'Etat en utilisant de façon plus active les fonds déposés auprès de lui par les collectivités territoriales et leurs établissements publics ; que, ce faisant, elle participe au bon usage des deniers publics, qui est une exigence de valeur constitutionnelle ; qu'elle doit également permettre d'éviter que le solde du compte du Trésor puisse être débiteur, et de respecter ainsi l'article 101 du traité instituant la Communauté européenne qui interdit à la Banque de France d'accorder des avances à des organismes publics ; que le législateur a opéré, entre les objectifs ainsi définis et les principes invoqués par les requérants, une conciliation qui n'apparaît pas manifestement déséquilibrée ;
34. Considérant, par ailleurs, qu'en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat la seule définition des seuils et des conditions de mise en oeuvre de cette obligation d'information préalable, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de ses compétences ; que le grief tiré de la violation de l'article 34 de la Constitution doit être écarté ;
Sur l'article 140 :
35. Considérant que l'article 140 de la loi déférée, qui modifie l'article L. 862-2 du code de la sécurité sociale, met en place un forfait unifié de prise en charge des dépenses afférentes à la couverture maladie universelle complémentaire, que celles-ci relèvent des organismes de sécurité sociale ou des organismes de protection sociale complémentaire ;
36. Considérant que, selon les requérants, « en revenant sur la différence de traitement financier des différents organismes qui contribuent au financement de la couverture maladie universelle complémentaire » instituée par la loi du 27 juillet 1999 susvisée, le législateur a porté atteinte au principe d'égalité ; qu'ils soutiennent, en outre, que cette disposition entraîne « une charge nouvelle pour les caisses primaires d'assurance maladie » qui porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale ;
37. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ;
38. Considérant, dès lors, que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir que le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie attribuera aux organismes de sécurité sociale et aux organismes de protection sociale complémentaire une dotation forfaitaire d'un montant identique par personne prise en charge ; que, par suite, la disposition critiquée ne méconnaît pas le principe d'égalité ;
39. Considérant, en second lieu, que l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale n'impose pas que cet équilibre soit strictement réalisé pour chaque branche et pour chaque régime au cours de chaque exercice ;
40. Considérant que le « forfait » instauré par l'article 140 de la loi déférée a pour objet la maîtrise des dépenses afférentes à la couverture maladie universelle complémentaire ; qu'ainsi, eu égard tant à son objet, qu'au montant en cause et à la situation financière des caisses d'assurance maladie, la mesure prévue par l'article critiqué n'a pas une incidence telle qu'il serait porté atteinte aux conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;
41. Considérant que, par suite, les griefs dirigés contre l'article 140 doivent être écartés ;
Sur la place de certaines dispositions dans la loi de finances :
42. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 47 de la Constitution : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique » ; qu'il en résulte que seule la loi organique peut définir la nature et le contenu des documents joints aux lois de finances ;
43. Considérant que l'article 51 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée, applicable à compter du 1er janvier 2005, définit le contenu des documents et informations qui sont joints au projet de loi de finances de l'année ; que, parmi ces documents, figure, en application de son 4°, « une annexe explicative analysant les prévisions de chaque recette budgétaire et présentant les dépenses fiscales » ;
44. Considérant que le I de l'article 81 de la loi déférée dispose que la présentation des dépenses fiscales mentionnée au 4° de l'article 51 précité figurera dans le fascicule « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances, et précise le contenu dudit fascicule ;
45. Considérant que ces dispositions ont empiété sur le domaine réservé par la Constitution à la loi organique ; que, dès lors, le I de l'article 81 n'a pas sa place dans la loi déférée et doit être déclaré contraire à la Constitution ; qu'il en va de même de son III qui en est inséparable ;
46. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article 1
Les I et III de l'article 81 de la loi de finances pour 2004 sont déclarés contraires à la Constitution.Article 2
Les articles 3, 45, 73, 82, 117 et 140 ainsi que, sous la réserve énoncée au considérant 23, l'article 59 sont déclarés conformes à la Constitution.Article 3
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 décembre 2003, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.
Le président,
Yves Guéna